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Hip Hop Management: « A.T.R. » de Twinsmatic, ou quand la musique s’écrit à l’ombre du futur que construit Booba

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Jean-Philippe Denis est un professeur de sciences du management à l’Université Paris Sud. Rédacteur en Chef de la Revue Française de Gestion, il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Introduction au Hip-Hop Management, publié aux éditions EMS. Ce livre a reçu le prix du « Meilleur ouvrage de recherche appliquée en management 2015 ».

Le second EP de Twinsmatic, nowhere, est entêtant. Comme beaucoup des 1 200 000 viewers sur YouTube, j’ai découvert l’existence du travail de ces messieurs par le biais de leurs featurings : d’un côté avec Booba, sur le morceau « A.T.R » ; de l’autre, avec Christine and the Queens, et ce morceau envoûtant : « 3 a.m. ».

Cette chronique est écrite alors que la sortie du clip d’« A.T.R. » est annoncée pour lundi 28 septembre, à une heure encore inconnue. « Faudra être prêt à tout moment morray ! ! » ont-ils lâché sur leur time-line. Alors, on se tient fin prêt. Et on ajoute volontiers : si la question de l’entreprise et de son futur vous intéresse, vous seriez bien avisé(e) d’en faire autant. Détaillons.

Les deux producteurs ont donné une interview à Générations. Ils y expliquent le sens de leur travail artistique. Et ils avancent quelques idées neuves : l’importance de la collaboration avec Booba, le boss du rap game français, mais aussi la pression et donc les risques associés… Au-delà, la volonté de poursuivre en autoproduction, lassé qu’ils sont des éternels projets qui n’aboutissent pas. Enfin, une sensibilité très américaine et surtout un refus d’entrer dans une catégorie pour mieux se situer dans un barycentre qui n’appartient qu’à eux, entre électro, hip-hop et dans tous les cas en dehors du rap game. À la traditionnelle question du prochain projet, ils répondent qu’ils vont sortir plutôt… un troisième EP, ce format de quelques titres qui avait la réputation dans le monde ancien de n’être qu’un moyen de se faire connaître en rêvant du sacro-saint album. Dans les bacs.

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Ce qu’il y a de fascinant dans le projet de Twinsmatic, et plus généralement dans le chemin artistique emprunté, c’est une sorte de radicalité stratégique dans les choix faits par le duo, au surplus sans jamais avoir besoin d’en surjouer l’explication. Tout ceci s’impose plutôt comme une évidence : l’album leur paraît un concept dépassé, et ils semblent rejoindre ici l’analyse d’un Michel Sardou pour lequel « seuls les rappeurs ont des couilles » et qui lui-même l’affirme : quel intérêt aujourd’hui d’un énième nouvel album ? On ajouterait volontiers : aujourd’hui, dans l’industrie telle qu’elle est et telle qu’elle s’annonce.

Twinsmatic a compris qu’à l’heure du digital et de l’avènement de la musique en streaming, signer avec une maison peut être suicidaire. Il vaut mieux être patient, (se) construire petit à petit, attendre d’être « validé » par ceux qui ont réussi avec leurs propres règles et bénéficient aujourd’hui d’une visibilité au sens propre extraordinaire. Ainsi de Booba par exemple, dont l’Histoire finira bien par retenir le génie stratégique puisque, comme il l’assure, c’est elle « qui l’a choisi » pour reprendre une formule-choc du morceau « Loin d’ici » dont le remix réalisé par Twinsmatic figure, en bonus, sur son dernier album : D.U.C.

Ne croyez pas les garçons de Twinsmatic lorsqu’ils disent qu’ils ne sont pas pressés. Ils vont vite. Ils animent la multitude à l’heure de la fluidité pour reprendre les concepts mobilisés par le Pr. Alain-Charles Martinet, qui n’hésite pas à convoquer Tarde ou Spinoza pour diagnostiquer en mode « grand-angle » les transformations actuelles sur lesquelles Twinsmatic et quelques autres sont en train de construire leur succès de demain : dans une économie d’accès et de réseaux, la capacité à synchroniser les émotions est la clé qui ouvre la porte de la seule ressource vraiment rare, l’attention. Un texte en « open access », « la multitude et la fluidité », à retrouver dans le numéro 244 de la Revue Française de Gestion.

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Retour à Twinsmatic. Voilà donc comment des acteurs dont la probabilité de succès était hier infinitésimale sans « maison » continuent à bouleverser le jeu et ses règles, tandis que tels des Polaroïds des temps nouveaux, les tenants de l’ancien ordre musical industriel établi continuent de ne pas comprendre qu’à l’heure du numérique, l’essentiel réside dans la capacité à placer avec une régularité de métronome de nouveaux produits sur le « marché », plutôt que de courir après un « business model » qui a vécu, celui de l’album qui se vendrait à des millions d’exemplaires.

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Booba, toujours « trop en avance pour demander l’heure » est de tous les acteurs du rap game celui qui l’a indéniablement le mieux compris. Depuis D.U.C., sorti en avril et dont plusieurs tracks avaient été lancés avant la sortie officielle dans les bacs, il a déjà produit des nouveautés. Le morceau « Validé » (avec Benash de 40 000 gangs) s’est rapidement classé en tête des ventes sur iTunes ; il y a fort à parier qu’« Attila » suivra rapidement le même chemin. Booba produit des artistes aussi, de plus en plus d’artistes : Shayizi, 40 000 gangs, Siboy…

Pour finir, on s’inspirera donc librement de Dr Dre et de son album Compton pour conclure cette chronique consacrée au clip de Twinsmatic – diffusé d’abord en exclusivité sur le site de Booba –, mis en scène par Chris Macari, le complice au long cours des clips de Booba et désormais des autres : « Twinsmatic don’t know everything / but one thing Twinsmatic know / is one day Booba is gonna have everything… ». Du moins s’en donne-t-il déjà les moyens.The Conversation

Jean-Philippe Denis, Professeur de gestion, Université Paris Sud – Paris-Saclay

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La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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