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Sameer Ahmad, le môme qui voulut être roi

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Aujourd’hui nous prenons le large. Assis à la terrasse d’un café montpelliérain, nous embarquons aux côtés de l’insaisissable Sameer Ahmad. Celui à qui aucune étiquette ne sied, ce genre d’homme qui vous fait voyager avec le croustillant du verbe. Parés à l’aventure, nous avons digressé autour de son univers. Retour sur un petit bout de chemin initiatique avec ce savant cuistot de la lettre.
Le rap, il y en a qui sont tombés dedans quand ils étaient petits. Comment toi, Sameer Ahmad, as-tu attrapé le virus ?

J’ai découvert ça sur des vidéos de skate. Tu sais des artistes comme Tribe Called Quest, Soul of Mischief, Das EFX. Au début tu découvres. C’est nouveau, c’est frais, c’est dur à comprendre. Tu te dis « c’est du feu d’artifice ! ». C’était hyper technique, je ne comprenais pas. Et après en essayant ça devient super ludique. C’est comme du skateboard, tu commences, tu fais un ollie et tu vois que tu peux aller super loin. Tu continues et tu t’affines. Ce que j’aime dans le rap c’est que tu peux intégrer un tas d’autres passions, tout ce qui te passe par la tête.

Aujourd’hui, tu es instituteur. Le rap pour toi c’est occasionnel, ou tu pourrais envisager une carrière là-dedans ?

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Le rap ce n’est pas occasionnel, j’en fais tous les jours mais je n’ai aucune ambition pécuniaire. Je n’aurais pas voulu vivre de ça. Déjà j’ai été papa jeune. Tu vois, une carrière dans le rap, pour 98% des gens ça dure cinq ans. Après, tu tombes. Si j’avais eu 18 ans, on te propose une carrière, tu te dis ça va durer cinq ans, ouais ! Et à 22 ans tu reprends tes études. Mais t’arrives, t’as 25, 30, 35 ans… C’est mort. A part pour certains qu’on connaît tous. T’en as comme Future aux Etats-Unis ou même des mecs comme Jay-Z. En France on en compte très peu. Y’en a quoi, dix ? Ceux qui tiennent c’est les gros entrepreneurs : IAM, Booba, etc.

Des fois pour oublier que je vais mourir, j’aime bien me poser des questions à la con. Est-ce que je préfère Outkast ou A Tribe Called Quest ?

Dans « Nouveau Sinatra », tu dis « L’important c’est pas la chute, c’est la terre d’accueil ». Aujourd’hui, tu travailles avec des enfants réfugiés, tu dois te sentir particulièrement concerné par l’actualité et notamment par ce qui se passe à la Jungle de Calais.

Forcément ça me renvoie à ce que j’ai vécu, mais en plus durement. Parce que nous à l’époque on était moins nombreux. On était pas des boatpeople. Mon père a été quelqu’un qui avait fait de grandes études à Bagdad. En revenant ici on ne parlait pas français mais il était considéré comme intellectuel. Après, nous sommes partis en Algérie parce qu’ils demandaient à des gens du Mashreq de venir enseigner. Tu sais, après la décolonisation il y a eu une perte de l’Arabe littéraire en Algérie, et donc ils ont fait appel à lui pour «réarabiser» le pays. Du coup tu comprenais un peu le français, et ça s’est fait comme ça quand nous sommes venus en France. Naturellement.

Tu fais davantage de références à tes origines dans ton dernier album Perdants Magnifiques que dans tes projets précédents. Il y a eu une démarche derrière ça ?

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C’est de la matière en fait. Y’a eu des voyages, des machins, on s’est un peu réveillés là-dessus. Puis j’ai évolué par rapport à pleins de choses, des dogmes, etc. Et tout se mélange un peu. Voilà, c’était une sorte de recherche identitaire. Et non-identitaire à la fois, pour perdre cette identité aussi.

Tu ne voulais pas te rattacher forcément à cette culture ?

Si, ça fait partie de moi. Mais je n’ai pas envie qu’elle me définisse uniquement. J’en viens mais, après il y aura du chemin. Mes enfants auront une autre culture. Mais j’avais besoin d’en parler parce que c’est important. On va dire que c’est un starting-block pour un nouveau départ.

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T’es en train de tourner une nouvelle page ?

Oui. Et j’en suis au prologue !

Ça promet une longue histoire derrière !

J’espère, si Dieu me prête vie !

L’intro de ton album semble construite sur la même structure que celle du mythique premier album de Nas, Illmatic. Un clin d’œil?

Oui, d’ailleurs, l’album entier est un clin d’œil à Illmatic. Y’a dix titres, un featuring, l’intro est la même. On a pas samplé, en fait c’est un passage de The Wire. On s’est dit « tiens c’est mortel ». Je voulais mettre le tramway en plus, et dans la séquence il y a tout ça. Dans la plupart des albums y’a souvent ce tram qui passe.

Tu es donc fortement inspiré par l’héritage de Nas, particulièrement Illmatic. Pour toi, qu’a-t-il apporté au hip-hop ?

Il l’a upgradé de ouf. Illmatic c’est le premier album rap au monde où il y a eu différents producteurs. Nas en a sollicité presque sept huit, c’était la première fois que t’en avais autant pour un mec. Tu avais un point de cohérence entre pleins de morceaux alors que les sons restaient très différents les uns des autres. Et rythmiquement, c’était incroyable. Nas c’était un des premiers à faire des rimes internes, avec des schémas de rimes très jazz. Il avait ce côté très jazz. Il a amené l’écriture à un niveau qui n’avait jamais été atteint à cette époque.

On passait vraiment de Tchoupi à Audiard. Ça a été une gifle dans la gueule.

Aujourd’hui, tu as des mecs comme ceux de TDE ou Pro Era qui ont offert un second souffle au Hip-Hop. Un retour aux sources avec des sujets plus profonds et des sonorités proches de la Golden Era. On est vite tenté de faire le rapprochement quand on t’écoute. Tu te retrouves dans leur registre ?

Toute proportion gardée mais c’est vrai que je me retrouve énormément dans ce qu’ils font. Dans leur musique et dans leur façon de faire. Après, on fait pas du copier-coller. Peut-être que l’intention est la même parce que le constat était le même. C’est une façon à peu près similaire et personnelle de faire les choses. Même en France on est pas mal comme ça. Y’a quand même un renouveau là-dessus. C’est pas refaire du Joey Bada$$ ou du Boom bap. C’est une autre façon de voir les choses.

Dans cette logique, certains projets récents arrivent à dépasser les frontières de leur genre en mêlant de nombreuses influences. Je pense au dernier de Kendrick par exemple (To Pimp A Butterfly), un projet entre Hip-Hop, Jazz & Soul.

Moi je dirais plus jazz que soul. C’est une école qui est très jazz. Quand je dis jazz, je ne parle pas seulement les sonorités, mais aussi dans le sens libertaire. De casser les codes, de se renouveler constamment, d’être tout le temps en réaction à quelque chose. Tu vois y’a eu le cool jazz, donc on va faire du hard bop comme Coltrane. Ou ce que faisait Miles, il va essayer de changer de style. Le Miles de Kind of Blue et le Miles de Bitches Brew c’est le même gars. Alors qu’il y a que dix ans de séparation ! Bah là je pense que c’est la même chose, il y a des petites sonorités jazz forcément, mais dans l’intention même c’est Jazz.

D’ailleurs ce que Kendrick fait est tellement libertaire que son album, et je pense notamment à son morceau « Alright », s’est imposé comme un hymne de la cause Afro-Américaine. A tel point qu’il même allé jusqu’à la Maison Blanche ! C’est libertaire au-delà de la musique.

Et c’est populaire sans être populo. Et c’est ça qui est fort chez Kendrick, il a réussi à réveiller la population. En France t’as 500 chaînes : Netflix, Arte, et j’en passe. Mais les gens regardent Touche pas à mon poste. Faut pas dire « ouais on nous sert que de la merde » non, le peuple choisit vraiment la merde. Faut arrêter de se plaindre.

Est-ce qu’on ne nous y éduque pas aussi, quelque part ?

Oui. Mais faut arrêter de chialer. Ok ils ne nous aiment pas, on va se prendre en main. Kendrick il est là-dedans. Il n’infantilise pas. Il réveille sans culpabiliser. Et c’est ça que j’aime aussi. Tu prends du recul sur les choses, t’observes et tu donnes une façon neutre et ironique de dire les choses. Il ne va pas te faire les trucs pétasses, flics, bagnoles.

Ou alors il le fera dans l’ironie, par exemple dans son morceau « I ». Je voulais aussi te faire réagir sur un débat houleux en France. Le rap est aujourd’hui l’une des musiques les plus écoutées, et pourtant incomprise. Comment tu peux expliquer ce dialogue de sourd qu’il peut y avoir entre les médias traditionnels et le rap ?

Rap maintenant ça veut tout et rien dire. Tu te dis, Kendrick Lamar, c’est du rap. Et Jul, c’est du rap même si ça se rapproche plus des 2be3. Tout est rap à un moment. Si tu me parles d’une certaine esthétique du rap qui n’est pas médiatisée, je peux comprendre qu’elle ne soit pas super médiatisée parce que soit spéciale soit élitiste. Après non, les mecs comme Jul ça passe non stop. Nekfeu il a gagné encore une victoire de la musique.

Pour autant ils n’ont pas une image reluisante dans les médias. On se souvient de l’altercation entre Yann Moix et Nekfeu alors qu’il avait déjà eu sa victoire de la musique.

Quand il disait qu’il faisait du rap bisounours ? Ah oui, Yann Moix avait raison. Il disait qu’il recherchait dans le rap du dur, de la rue et tout. Après, il faut comprendre, et d’ailleurs, il ne faut pas aller dans ces émissions. Le rap, c’est une musique spé. Si t’as pas les codes, tu passes à côté. C’est comme si moi on me disait « viens voir un concert de Hard Métal ». J’arrive et je vois un mec il est habillé en blanc. On me dit, lui c’est le meilleur. Attends, il a pas les cheveux longs ? Il a pas de tête de mort ? Moi aussi je suis dans mes clichés, parce que je ne connais pas. Tu vois ce que je veux dire ? Il arrive avec un bouquet. Il ne correspond pas au truc. Moi je croyais qu’il priait Satan. Je suis complètement dans mes clichés. Donc c’est un faux débat.

Yann Moix il est exactement au rap ce que je suis au Hard Métal. Il y connaît que dalle.

Globalement, les médias traditionnels ont beaucoup de mal à accorder au rap le second degré, et ont tendance à se lancer dans d’innombrables polémiques.

(Coupe) C’est plus par rapport aux clichés que c’est censé véhiculer que par rapport à la musique en elle-même. La banlieue, les jeunes émigrés, etc. Souvent on dit « ah ça fait du bien un rap pas bling-bling ». Non. Ce n’est pas un critère. Un rap pas bling-bling peut tout autant être à chier. On va arrêter de chialer et on va monter nos médias. Avançons. Ok, ils ne veulent pas, ils ne veulent pas. C’est comme le rock alternatif dans les années 90 ils ont fait leur truc.

Le rap aujourd’hui c’est alternatif. Entre country, soul, jazz, rock, tu as tous les mélanges de styles.

Moi je ne suis pas pour un mélange de styles. Je suis pour la création d’un style plutôt que le mélange.

Ah oui ? Pour ma part, je trouve que ça peut ouvrir de nouveaux horizons à la musique. Je pense à Yelawolf par exemple. J’ai personnellement été touchée par son EP Arena Rap dans lequel il pose sur des instrus country. Il  a aussi fait du rock avec Stereo et plus récemment, Psycho White avec Travis Barker.

Alors tu dois adorer MHD ! L’afrotrap, moi je trouve ça ridicule ! A un moment ce n’est pas parce que le mec va jouer de la flûte tibétaine qu’il fait du rap tibétain ! Ou alors on disait Tribe Called Quest c’est rap jazz, non. C’est du rap, point barre. On s’en fout des influences. Ça fait trente ans que c’est comme ça. Yelawolf peut sonner rock, country ou ce que tu veux, ça restera quand même du rap.

Tu n’es pas un fanatique de la recette MHD ?

J’ai pas l’âge. C’est sympa, c’est très mignon, tu bois une limonade. Après c’est ce que les journalistes disent, il a mélangé de la musique Africaine avec du rap et c’est devenu l’afrotrap. Mais c’est nul, y’en a plein qui l’ont fait. Ça me fait penser au Rai’n’B. Ou tu sais, c’est comme les vendeurs de tables de ping-pong du nord de la France qui disent « on va le faire à l’Américaine ». C’est ringard !

C’est Touche pas à mon poste ! On est là-dedans!

Dans ta démarche musicale, tu t’exposes peu. Même tes interviews ne sont pas promotionnelles. Pourquoi ce choix de médiatisation ?

Ce n’est pas un choix, c’est ma personnalité. Comme je te dis, c’est éphémère, c’est beaucoup d’énergie. J’ai pas envie de me mettre là-dedans. Je ne trouve même pas ça amusant.

Tu fais ça pour toi ?

Oui et non. Après j’ai d’autres formes d’égo. Les retours d’album, les rencontres d’artistes, etc. C’est plus là-dessus. Mais, Perdants Magnifiques, c’est un album dont je suis fier. J’espère aller plus loin après.

D’ailleurs, tu as mis plus d’un an à produire Perdants Magnifiques. C’est par contrainte ou par choix que tu espaces tant tes projets?

Là je pourrais vraiment ressortir un album si je voulais. Mais ça ressemblerait trop à Perdants Magnifiques. Je pourrais le faire, et je sais que c’est le jeu, mais ça m’amuserait pas. Le travail de recherche, s’amuser en essayant des trucs, ça prend un peu de temps.

Tu veux un concept à chaque fois ?

Tu essaies des choses. Tu veux prendre des risques. Je n’ai pas envie de rabâcher, ça y est je l’ai fait. Maintenant j’ai envie de m’amuser sur d’autres choses.

Tu pars sur quoi ?

Justement on essaie plein de trucs. Là on balise à fond. C’est un vrai bordel ! (rires).

Comment tu bosses la conception de tes albums ? Justement comme c’est un peu long, niveau timing tu t’imposes ?

Ouais je mets toujours une deadline. On commence par baliser et une fois qu’on sent qu’on a quelque chose on se fixe une deadline qu’on va surtout pas reculer. Je le dis aux labels, à tout le monde pour qu’on ait plus le choix. Et c’est là aussi où tu vas provoquer des accidents. Pour qu’il y ait une part d’urgence et de spontanéité avec des choses très travaillées en amont. Tu mélanges ça pour faire un truc carré et vivant à la fois. Pas un truc figé où t’amoncelles tout. Tu trouves la couleur, deux notes comme disaient les jazzmen. Une fois que tu la trouves tu fixes ta date et là t’égrènes. Le plus long c’est de chercher sur quoi on part.

Une phrase nous a interpellés. Tu dis faire « du business en 26 lettres ». Ce n’est pas vraiment l’idée que tu transmets quand on t’écoute parler.

Ce n’est pas le business rapgame, c’est le business dans le sens où ça coûte de l’argent de faire du rap. Et il faut en remettre. Dans le rap, il y a la passion mais y’a le côté business qu’il ne faut pas négliger. Je venais de signer chez Bad Cop Bad Cop. J’espérais juste qu’on allait récupérer l’argent qu’on allait mettre. C’est surtout ça. On reste dans le business de l’art, de la lettre. Y’avait un peu la pression dans le sens « ils m’ont fait confiance ». Putain y’a des thunes en jeu ! Donc j’espère que moi je vais ramener des thunes aussi, qu’ils ne vont pas être déçus. C’était là-dessus. Après, tu prends et tu mets à ta sauce. Je sais qu’il y a plein de gens qui l’ont pas compris comme ça mais c’est bien aussi !

Finalement, quand tu poses, tu ne t’adresses pas à tout le monde.

Non, tu peux pas. Je veux faire un truc à moi. Plus t’instaures un univers, plus tu vas mettre de balises. Tu vas égrener des choses de plus en plus personnelles et tu vas perdre des gens. Mais tu vas aussi gagner des gens qui vont se reconnaître de plus en plus, qui vont marcher avec toi. Tu vas gagner en qualité. C’est comme ça que moi j’adhère à un artiste, parce que je comprends le délire et la démarche.

Après deux bonnes heures passées à refaire le monde, et alors que nous nous apprêtons à donner congé à notre sherpa au Sens de la Formule, une dernière question nous taraude l’esprit. « Finalement, est-ce qu’aujourd’hui le môme est devenu roi ? ». Sameer Ahmad réfléchit longuement avant de répondre.

« Toujours pas ! Il a abandonné cette idée. Il est enfermé dans un corps d’adulte ».

Propos recueillis par Jérémie Leger et Myriam Chenelat

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