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Analyse littéraire : « Helsinki », le chef d’oeuvre de Dinos

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Imany, le premier album du rappeur Dinos est sorti il y a deux ans. Après plusieurs années d’absence, l’artiste propose à son public un disque réussi. Son écriture travaillée fait penser à un roman. A partir de ce constat, nous avons décidé d’étudier son chapitre 9 « Helsinki » façon texte de français pour le Bac. Si notre démarche est militante ; faire reconnaître la qualité de la plume des rappeurs et pourquoi pas intégrer des textes dans les corpus des élèves de première, elle est aussi un hommage à ce morceau merveilleux et bouleversant.

« En panique, j’ai voulu faire une croix sur toi, mettre un voile sur mon cœur mais l’amour est un établissement laïque » « Helsinki » – Dinos

Dinos est un artiste français né en 1993. Il grandit en banlieue parisienne, plus précisément dans le département de Seine-Saint-Denis à La Courneuve. Jules, de son prénom,  commence à prendre goût à la littérature par l’intermédiaire de son père. A l’âge de 14 ans, il découvre « L’Alchimiste » le conte philosophique de Paulo Coelho paru en 1988. Cette initiation lui ouvre les portes des lettres. Écrivain talentueux, il s’inscrit dans un célèbre courant littéraire qui débute en 2010. En effet, il se fait connaître avec les fameuses joutes oratoires de Rap Contenders. De l’improvisation verbale à l’écriture d’un disque, il y a bien plus qu’un pas, mais Jules a de solides appuis. Il franchit cette étape avec une rare aisance. A l’âge de 19 ans, Dinos Punchlinovic sort une premier projet très prometteur, L’Alchimiste. Cette création est composée de dix chansons réussies, dont deux collaborations, une avec Nekfeu et l’autre avec Maud Elka.

En 2015, il propose à ses lecteurs sa seconde oeuvre titrée Apparences. Trente-six minutes agréables, mais encore une fois, il ne s’agit pas que d’une nouvelle et non d’un roman. En retrait depuis trois ans, une éternité dans notre société de l’immédiateté, Dinos rédige son premier long métrage. Le 27 avril 2018, ses lecteurs découvrent les dix-sept chapitres d’Imany. Une oeuvre dense et belle. Le chapitre 9 porte le nom de la capitale Finlande, « Helsinki » le cœur palpitant du manuscrit. Le rap français vit son nouvel âge d’or, un virage entamé depuis 2015, une année riche en sortie littéraire. Dinos apporte « Helsinki », son diamant à cet édifice.

En quoi la richesse du texte donne une autre dimension à cette narration de rupture ?

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L’auteur raconte les maux d’une rupture (I) par le biais de riches figures de style, il fait renouer le genre avec les histoires d’amour avec un procédé narratif inspirant (II).

I. Analyse linéaire

Le travail d’écriture est très important dans le roman Imany, et particulièrement dans « Helsinki ». Le jeune écrivain ose des figures de style qui apportent de l’épaisseur au texte, le tout inscrit dans une narration interne passionnante.

En guise d’introduction, Dinos propose les quelques lignes de sa messagerie téléphonique. Il prend le parti de ne pas cacher son véritable prénom, Jules. Le pseudonyme Dinos est d’ailleurs une réduction de son ancien, il s’agissait de Dinos Punchlinovic. Il délaisse donc la seconde moitié de son nom de scène pour signer son premier roman. Le fait de ne pas cacher son nom, et d’admettre préférer qu’on l’appelle ainsi montre le côté naturel du romancier. Le champ lexical de la rupture est très présent dès les premières lignes de la prose. L’absence du message matinal quotidien de son partenaire manque au narrateur. La communication par messages est omniprésente, elle rythme les journées des couples. La rupture entraîne une solitude éteint les cœurs et les portables, c’est ainsi que le narrateur le vit : « Ni mon cœur, ni mon téléphone, je n’veux plus faire vibrer« . L’acceptation de la rupture est un moment extrêmement difficile à passer, elle bouleverse le présent et le futur : « J’ai tellement peur d’être seule, tellement peur d’accepter qu’c’est terminé« . Le thème de la rupture est universel. Le lecteur est touché et partage les blessures justement exprimées. Les lignes suivantes sont d’une rare justesse. Plusieurs figures de style s’entremêlent, et plusieurs lectures de ces phrases sont nécessaires afin d’en déceler le sens.

« Puis tu sais, j’suis irritée alors parfois, je pleure de trop
En vérité mes larmes ne servent qu’à irriguer ma fleur de peau« 

Nous trouvons ici un procédé de défigement et une synecdoque. A partir de l’expression « être à fleur de peau » qu’il se réapproprie, Dinos exprime là l’amertume de l’abandon. Les personnes dites « à fleur de peau » ressentent et expriment différemment leurs émotions. La peau n’est plus ici une image mais bien la peau du visage sur lequel coulent les larmes. Le personnage est à fleur de peau, cela est amplifié par sa tristesse qui l’irrigue. Il déconcerte le lecteur avec une utilisation au sens propre et au sens figuré de l’expression. Les couples avec des enfants qui divorcent se partagent la garde des enfants, ce n’est pas le cas du couple héros de cette intrigue. Malgré tout, nous comprenons que le narrateur avait des envies d’avoir un enfant avec son ex.

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« Sur mon lit rempli d’mouchoirs, j’me fais des images de guerre En m’demandant qui aura la garde de notre enfant imaginaire« 

La phrase est très touchante, elle est la preuve d’une belle projection avec l’être aimé, l’enfant imaginaire ne verra jamais le jour. Les moments insignifiants de la vie de couple refont surface lors d’une séparation, ces scènes de la vie quotidienne dont on se sent amputé une fois seul. Elles sont évoquées dans le roman, comme les pop-corn terminés par son conjoint avant le début d’un film au cinéma ou d’autres petites moqueries quotidiennes. Les moments de partage souvent anodins sont les plus importants dans le couple. La religion est très présente dans les chapitres de ce livre, elle intervient également d’une matière très habile dans « Helsinki ».

« En panique, j’ai voulu faire une croix sur toi
Mettre un voile sur mon cœur mais l’amour est un établissement laïque« 

Deux mots issus du champ lexical de la foi et une antithèse composent ces deux lignes. L’antithèse est présente entre la religion et la laïcité, un sujet omniprésent dans le débat public français. La fameuse loi de 1905 de séparation de l’Eglise et l’Etat est souvent remise en question par des personnes qui souhaitent plus ou moins de laïcité. Dinos jongle ici avec la polysémie des mots « croix » et « voile ». D’un côté la croix représente la religion catholique et la mort de Jésus Christ, de l’autre le voile est un vêtement porté par des femmes musulmanes. Mais ils utilisent ces mots dans des expressions: « faire une croix sur » qui signifie « renoncer à quelque chose » et « mettre un voile » qui est utilisé pour parler d’une dissimulation au sens figuré. Concrètement, le narrateur a essayé en vain de passer à autre chose. Sa volonté est annihilée par l’établissement laïque qui ne tolère ni croix ni voile.

« Du mal à m’dire que cette histoire est lointaine
Si tu savais comme j’te déteste, tu saurais à quel point j’t’aime »

Encore une fois, le conteur n’accepte pas la rupture. L’antinomie est forte entre la détestation et l’amour, elle est renforcée par l’utilisation de l’imparfait puis du conditionnel. Une phrase qui pourrait devenir une expression populaire, le narrateur déteste celui qui l’a laissé car il l’aime. La capitale finlandaise est connue pour ses courtes journées, la nuit rythme le quotidien des habitants. Le titre du chapitre est repris au cœur du texte, il est répété à plusieurs reprises comme pour insister sur l’obscurité résultant de la rupture. « Aujourd’hui, t’as perdu cette lionne, que t’as si bien apprivoisée », la femme narratrice se compare à une lionne, le choix de l’animal n’est pas laissé au hasard. La femelle du lion est le symbole de la femme forte, mais celle-ci a été apprivoisée. Un écart est créé entre la nature première de cet animal et ce qu’elle est devenue lors de cette relation.  » J’aimerais devenir une montagne, pour n’pas avoir à t’croiser », il s’agit d’une reprise de la célèbre expression française « Il n’y a que les montagnes qui ne se rencontrent pas ».  Après avoir exprimé d’autres manques du quotidien, la narratrice déclare: « T’as même brisé mon cauchemar, dans lequel on emménage ». Les rêves sont brisés mais pas les cauchemars. Si elle appréhendait une vie commune sous le même toit, elle voit cette crainte brisée par la rupture. Au fond, elle le souhaitait sûrement. Elle fait ensuite référence à une autre oeuvre littéraire française « L’amour dure trois ans » de Beigbeder : « J’ai peur que l’amour soit marié et qu’la haine dure trois ans ». Elle redoute que l’aigreur de cette rupture dure plusieurs années. Elle espère qu’il s’agisse d’un mauvais rêve, dans lequel elle pourrait « arracher ton cœur, couper tes bras avec une hache« .

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Le troisième paragraphe montre une grande évolution dans la réaction face à la rupture, la tristesse laisse place au rejet. Nous y retrouvons une référence à un autre chapitre marquant de la carrière de Dinos « Namek ». « Presque ravi de m’dire qu’cette histoire est lointaine, si tu savais comme j’te déteste« , la conclusion est différente des deux premiers paragraphes, le lecteur pourrait s’attendre à retrouver le « tu saurais à quel point j’t’aime« , mais la fin de l’histoire d’amour semble digérée.

Crédit photo : Fifou

II. Mystère narratif

L’écrivain parle ici à la place de son ex-amoureuse. Cette finesse n’est pas facilement décelable dès les premières lignes. Le premier indice apparaît avec l’évocation de la « lionne ». Dans le troisième paragraphe, les références à la Playstation et les groupies lèvent les derniers doutes au lecteur. Il s’agit bien d’un exercice de style de la part de l’auteur qui part l’intermédiaire de son ex, exprime lui-même les maux de sa rupture. Est-ce de la pudeur de la part de Dinos qui préfère passer par la voix de son ancienne compagne ? L’écrivain parvient à convaincre son lecteur, il parle pour son ex-conquête avec des mots cohérents. L’homme peut se mettre à la place de la femme et exprimer sa peine. La rupture n’est pas vécue de la même façon par les deux sexes, et elle est souvent causée par des incompréhensions. La force de l’écrivain dans ce chapitre est de comprendre la femme. La solitude, la tristesse ainsi que les regrets sont parfaitement exprimés. La narration des moments de complicité est sans fioriture. Elle est progressive, nous comprenons qu’il ne s’agit sûrement pas d’un seul même message mais de trois, un par couplet. Les trois refrains avec la présence d’une voix féminine, celle d’Yseult sont centraux dans la compréhension de l’extrait étudié. Les phrases sont prononcées en même temps par l’auteur et l’écrivaine qui l’accompagne. Si Yseult parle au nom du sexe masculin, il s’agit de la preuve que les deux anciens amants ressentent la même douleur. Ils sont les deux plongés dans le noir comme un après-midi à Helsinki. Dinos avouera d’ailleurs que cette narration complexe était travaillée, il a d’ailleurs écrit trois fois ce chapitre avant d’aboutir à ce merveilleux résultat. L’histoire d’amour est très présent dans l’intégralité de l’ouvrage, dans le chapitre 6 intitulé « Havana & Malibu », la relation est joviale. L’oeuvre n’est pas chronologique, c’est lors du chapitre 14 que les tensions commencent à apparaître, le chapitre est nommé « Donne moi un peu de temps ». L’auteur a déclaré lors d’une interview pour le site Booska-P:

« En fait je t’explique, ce morceau est compliqué à comprendre et c’était carrément voulu. Helsinki c’est ma messagerie, et c’est un message que mon ex me laisse. Elle me laisse un message et elle me dit comment elle est depuis que c’est fini. C’est progressif, c’est pour ça qu’à la fin du premier couplet, elle dit : “si tu savais comme j’te déteste, tu saurais à quel point j’t’aime”. Et au dernier couplet, elle dit juste : “si tu savais comme j’te déteste”. En fait, c’est l’évolution de la déprime, du sevrage, la convalescence […] J’ai beaucoup trop d’ego pour avouer que c’est moi qui ressens ça. Donc je le fais passer pour le message d’une fille sur mon répondeur.« 

Résumons : Dinos rédige un texte où il place son ex comme narratrice pour qu’elle exprime à sa place ce que lui ressent. Les histoires d’amour sont très présentes dans le rap français. Le texte qui nous vient en premier à l’esprit est « Caroline » de MC Solaar, amour et rupture, joie et tristesse se mêlent astucieusement avec des jeux de mots très travaillés. Dans son morceau « Rap, musique que j’aime »,  Zoxea déclare sa flamme à son courant par le biais d’une longue métaphore où le rap est une femme. Dans un autre registre, Doc Gynéco déclara son amour à Vanessa dans un chapitre phare de son roman « Première Consultation ». Dinos, dans la lignée des plus grands.

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